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L’exonération de l’architecte en cas d’usage imprévu de l’ouvrage

Le dommage peut se rattacher à un usage des locaux non prévu par le programme initial de travaux. Il est alors prononcé un partage de responsabilités ou une exonération de l’architecte (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998 : Juris-Data n° 1998-001014).
Un usage imprévu a été jugé dans les cas suivants :
  • d’un programme consistant à prévoir des travaux d’ouverture d’un atelier, les portes étant réputées closes, alors qu’au cours de l’exploitation, ces portes sont restées ouvertes (Cass. 3e civ., 15 mai 1979 : JCP G 1979, IV, 237) ;
  • d’admission prématurée d’occupants des lieux (Cass. 3e civ., 30 janv. 1991 : Bull. jurispr. MAF mai 1991) ;
  • d’un changement d’activité du maître de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 11 févr. 1998 : Constr.-urb. 1998, comm. 226) ;
  • de salles de danse et acrobatie ayant entraîné des nuisances aux tiers, imputables en partie aux utilisateurs des locaux (Cass. 3e civ., 10 janv. 2001 : Bull. de jurispr. de la MAF, oct. 2001) ;
  • de l’exploitation d’aménagements spécifiques ayant entraîné des nuisances sonores aux voisins (Cass. 3e civ., 10 janv. 2001 : Rev. Administrer avr. 2004, p. 45 et note A. Valdès).

L’immixtion fautive du maître de l’ouvrage

Le principe de non-immixtion du maître d’ouvrage est mentionné dans la norme P03-001 de décembre 2000, article 15.2.2. Deux conditions sont nécessaires : un maître d’ouvrage notoirement compétent ; un acte d’immixtion caractérisé. 
Il a été jugé que l’entrepreneur est exonéré de toute responsabilité lorsqu’il a subi une attitude intransigeante du maître d’ouvrage ou des modifications incessantes demandées par le maître d’ouvrage (Cass. 3e civ. 3 novembre 1982, Gaz. Pal. 1983, 1, pan. Jurispr. P. 53). 
Il a également été jugé que l’entrepreneur est exonéré de toute responsabilité si les retards des travaux tiennent à des travaux en suppléments, « demandés, exécutés et acceptés » par le maître de l’ouvrage (Cass. 3e civ. 12 avril 1972 : Bull. civ. 1972, III, n°213). 
La même solution a été retenue à propos du maître de l’ouvrage qui a demandé, en cours de chantier, des modifications de travaux augmentant leur coûts (Cass. 3e civ. 15 octobre 1980 : D. 1981, inf. rap. P. 163).
En tout état de cause, le changement dans les projets de travaux constitue un véritable acte d’immixtion : ainsi jugé à propos d’un changement des matériaux d’étanchéité  (Cass. 3e civ. 3 décembre 1980) et à propos d’un changement d’un mode de cuvelage (Cass. 3e civ. 10 décembre 1980, n°1819).
Un acte d’immixtion a été reconnu dans le fait pour le maître de l’ouvrage de remplacer son architecte sans respecter les plans et prescriptions de celui-ci (Cass. 3e civ., 7 mars 1990 : Bull. civ. 1990, III, n° 70), à un maître de l’ouvrage qui avait réduit le programme d’exécution de travaux d’isolation contre le gel (CA Paris, 19e ch. A, 25 juin 2003, préc. supra n° 44)

La responsabilité du maître d’ouvrage lors de l’établissement du programme des travaux

Le maître de l’ouvrage est responsable de l’expression de ses projets, à l’origine de l’intervention des constructeurs. Un maître de l’ouvrage a été déclaré responsable à propos :
  • de la présence d’une canalisation de gaz enfouie non signalée (Cass. 1re civ., 17 mars 1969 : D. 1969, jurispr. p. 532) ;
  • de l’ignorance des limites de son propre terrain, ayant entraîné une implantation de l’édifice sur terrain d’autrui (Cass. 3e civ., 20 févr. 1970 : Bull. civ. 1970, III, n° 140) ;
  • d’un programme trop économique (Cass. 3e civ., 8 juill. 1971 : Bull. civ. 1971, III, n° 451. – Cass. 3e civ., 10 avr. 1975 : D. 1975, inf. rap. p. 155. – Cass. 3e civ., 10 mars 1981 : JCP G 1981, IV, 191);
  • d’une étude des sols défectueuse (Cass. 3e civ., 5 juin 1984 : JCP G 1984, IV, 261) ;
  • d’un problème d’étanchéité des sols, bien connu du maître de l’ouvrage et non signalé (Cass. 3e civ., 4 déc. 1984 : JCP G 1985, IV, 60. – Cass. 3e civ., 15 juin 1988 : JCP G 1988, IV, 297) ;
  • des dommages prévisibles à un mur mitoyen (Cass. 3e civ., 24 oct. 1984, inédit) ;
  • du défaut d’information de l’architecte (CA Douai, 1re ch., 13 sept. 2004 : Constr.-urb. 2005, comm. 28) ;
  • de l’obturation des jours de souffrance d’un immeuble voisin (Cass. 3e civ., 14 févr. 2007 : Mon. TP 27 avr. 2007, p. 113 et suppl. p. 31).
Naturellement, le maître de l’ouvrage doit être notoirement compétent. Aucune responsabilité ne pourrait être assumée par le maître de l’ouvrage dépourvu de toute compétence technique (Cass. 3e civ., 30 oct. 1978 : Gaz. Pal. 1979, 1, somm. p. 111. – Cass. 3e civ., 9 janv. 1980 : Bull. civ. 1980, III, n° 11. – Cass. 3e civ., 4 févr. 1981 : Gaz. Pal. 1981, 2, pan. jurispr. p. 195).
En revanche, est réputé compétent un promoteur disposant de services techniques (Cass. 3e civ., 13 déc. 1978 : Gaz. Pal. 1979, I, somm. p. 111). Mais tout promoteur n’est pas nécessairement “notoirement compétent” (Cass. 3e civ., 12 juin 1968 : Bull. civ. 1968, III, n° 270 ; AJPI 1969, p. 32, note Bouyeure. – Cass. 3e civ., 13 janv. 1982 : Bull. civ. 1982, III, n° 14 ; Quot. jur. 20 nov. 1982, p. 12. – CA Paris, 19e ch. A, 31 janv. 1996, 2 arrêts : RD imm. 1996, p. 222). 
Ont été réputés notoirement compétents :
  • une société de crédit immobilier (Cass. 3e civ., 12 oct. 1978 : Gaz. Pal. 1979, 1, somm. p. 14) ;
  • un maître de l’ouvrage ayant “des responsabilités dans des sociétés de promotion immobilière” (Cass. 3e civ., 22 juill. 1998 : Resp. civ. et assur. 1999, comm. 15) ;
  • une chambre de commerce en matière de règlements d’urbanisme (Cass. 3e civ., 4 mars 1971 : Bull. civ. 1971, III, n° 162) ;
  • une société de construction immobilière (Cass. 3e civ., 17 oct. 1972 : D. 1973, jurispr. p. 314 ; Bull. civ. 1972, III, n° 522) ;
  • Le devoir de conseil incombant à l’architecte rend celui-ci responsable, s’il ne signale pas en termes susceptibles d’être compris par le maître de l’ouvrage, le danger ou les inconvénients de certains programmes (Cass. 3e civ., 15 oct. 1970 : Bull. civ. 1970, III, n° 516), sauf à refuser son concours (C. déont. arch., D. n° 80-217, 20 mars 1980, art. 7. – Cass. 3e civ., 13 janv. 1982 : JCP G 1982, IV, 115)
  • C’est à l’architecte de prouver qu’il a avisé son client de l’insuffisance d’un programme (Cass. 3e civ., 26 janv. 2000 : Juris-Data n° 2000-000346 ; Mon. TP 25 févr. 2000, p. 75).
Le principe a été appliqué dans les cas suivants :
  • d’économies trop poussées recherchées par le maître de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 1er mars 1983 : Bull. civ. 1983, III, n° 62) ;
  • d’un maître d’oeuvre à qui il incombait d’exiger de son client les documents nécessaires à son travail (Cass. 3e civ., 7 juill. 1981 : JCP G 1981, IV, 353) ;
  • d’un maître d’oeuvre ayant laissé le maître de l’ouvrage dans l’ignorance d’engagements financiers à prendre pour des fondations spéciales (Cass. 3e civ., 15 mars 1989, n° 88-10.170) ;
  • de l’architecte qui accepte les modifications et suppressions exigées par le maître de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 11 déc. 1991 : Juris-Data n° 1991-003119 ; JCP G 1992, IV, 534 ; JCP N 1992, II, p. 247 ; RD imm. 1992, p. 219) ; 
  • de la nécessité d’attirer l’attention du maître de l’ouvrage sur la protection spéciale de certains matériaux (Cass. 3e civ., 18 juin 1997 : Juris-Data n° 1997-002885 ; JCP G 1997, IV, 1723) ;
  • de l’architecte qui n’a pas tenu compte des capacités financières du client (CA Pau, 1re ch., 21 nov. 1991 : JCP G 1992, IV, n° 1917)

Les personnes pouvant êtres tenues responsables

L’architecte est responsable des plans et initiatives prises par un précédent maître d’oeuvre (Cass. 3e civ., 8 mars 1968 : Bull. civ. 1968, III, n° 101) 
La reconnaissance de responsabilité d’une société civile professionnelle d’architectes ne justifie pas une condamnation des associés, à titre individuel et solidaire. Ainsi jugé en matière administrative (CAA Lyon, 2e ch., 16 sept. 1999 : AJDI 1999, p. 1154).
La société d’architectes est engagée par un contrat signé par un associé et portant mention de la société, en l’absence de preuve de relations personnelles du maître de l’ouvrage avec ledit architecte (Cass. 3e civ., 23 janv. 2002 : Mon. TP 29 mars 2002, p. 89).
L’architecte répond de son sous-traitant, de la même façon que l’entrepreneur principal (Cass. 3e civ., 21 juin 2006 : Mon. TP 13 oct. 2006, p. 101 et suppl. p. 16). 
Les techniciens et organismes chargés d’une mission de contrôle dans l’intérêt du maître de l’ouvrage sont responsables pour :
 
  • l’implantation de l’édifice sur terrain bourbeux (Cass. 3e civ., 1er juill. 1975 : JCP G 1975, IV, 275 ; Bull. civ. 1975, III, n° 227) ;
  • des désordres consécutifs à des plans et dessins établis sans la production d’une étude géologique, jugée indispensable (Cass. 3e civ., 31 mars 1989 : JCP G 1989, prat. 1158) ;
  • avoir approuvé des fondations insuffisantes (Cass. 3e civ., 18 nov. 1992 : Bull. civ. 1992, III, n° 297) ;
  • des vices du sol non signalés (Cass. 3e civ., 5 avr. 1995 : Gaz. Pal. 1997, 1, somm. p. 104 et note M. Peisse) ;
  • des désordres dans les murs de façade (Cass. 3e civ., 23 avr. 1997 : Juris-Data n° 1997-001794 ; RD imm. 1997, p. 444) ;
  • des défauts d’étanchéité non annoncés (Cass. 3e civ., 5 nov. 1997 : Juris-Data n° 1997-004363 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 94) ;
  • des erreurs dans la conception et le mode de fondation des ouvrages (Cass. 3e civ., 25 mars 1998 : Juris-Data n° 1998-001358 ; Mon. TP 22 mai 1998, p. 54) ;
  • des avis donnés trop tard (CA Paris, 1er oct. 1997 : RD imm. 1998, p. 93 et la note).
Peuvent être également responsables les personnes suivantes :
 
  • un ingénieur-conseil (Cass. 3e civ., 3 juill. 1968 : Bull. civ. 1968, III, n° 309) ;
  • un “décorateur-ensemblier » (Cass. 1re civ., 5 mai 1965 : Bull. civ. 1965, I, n° 295) ;
  • un Métreurs-vérificateurs (Cass. 3e civ., 14 nov. 1970 : D. 1971, somm. p. 67 ; Bull. civ. 1970, III, n° 603. – Cass. ch. mixte, 16 janv. 1976 : Gaz. Pal. 1976, 1, somm. p. 66. – Cf. pour un “métreur-expert”, Cass. 3e civ., 28 mars 1977 : Bull. civ. 1977, III, n° 158) ;
  • les Experts (Cass. 3e civ., 28 janv. 1998 : Juris-Data n° 1998-000221 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 126 ; Bull. civ. 1998, III, n° 22 ; Mon. TP 27 févr. 1998) ; les autres maîtres d’œuvre (Cass. 3e civ., 10 juin 1971 : Bull. civ. 1971, III, n° 368).

Les possibilités d’exonération de la responsabilité de l’architecte

L’architecte n’est responsable que dans les limites de sa mission. Les clauses d’irresponsabilité restent sans effet en cas de faute lourde de l’homme de l’art (Cass. 3e civ., 22 avr. 1980 : Bull. civ. 1980, III, n° 77).
Une clause excluant les conséquences de la solidarité n’a pas d’incidences sur l’obligation à réparation incombant à l’architecte (Cass. 3e civ., 25 nov. 1987 : JCP G 1988, IV, 45 ; D. 1987, inf. rap. p. 247 ; Bull. civ. 1987, III, n° 196).
Les obligations contractuelles de l’architecte sont régies, en principe par l’article 1147 du Code civil, consacrant l’obligation de résultat. En conséquence, l’architecte ne semble pouvoir s’exonérer de sa responsabilité contractuelle qu’en apportant la preuve de la “cause étrangère”, selon le droit commun des responsabilités contractuelles.
Un architecte responsable du respect des délais d’exécution ne peut s’exonérer qu’en prouvant la faute des autres constructeurs, du maître de l’ouvrage, ou la force majeure (Cass. 3e civ., 11 juill. 1977 : Gaz. Pal. 1977, 2, somm. p. 364).
L’architecte n’est tenu qu’à une obligation de moyen lorsqu’il définit le choix d’un matériau (Cass. 3e civ., 15 févr. 2006 : RD imm. 2006, p. 228 et la note).
L’architecte peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en établissant le cas fortuit et la force majeure (Cass. 3e civ., 21 nov. 1979 : Gaz. Pal. 1980, 1, somm. p. 118 ; D. 1980, inf. rap. p. 204).